Chapitre 5
Elle s'assit dans l'un des deux fauteuils. Tolliver et moi nous perchâmes sur son lit, face à elle. Elle était arrivée avec un gobelet de café fumant de chez McDo, je ne lui offris donc rien à boire. Elle ne nous reprocha pas d'être partis de chez Twyla. Elle paraissait éreintée mais surexcitée.
— Les journalistes vont nous tomber dessus dans les jours à venir. Les chaînes de télévision sont déjà sur le coup. Leurs équipes ne vont pas tarder. Le SBI prend l'enquête en charge mais me laisse participer. On me demande de faire la liaison avec vous deux puisque c'est moi qui vous ai sollicités. L'agent en chef Pell Klavin et l'agent spécial Max Stuart voudront vous rencontrer.
Comme nous ne réagissions pas, elle enchaîna.
— Savez-vous ce que j'aimerais ? J'aimerais pouvoir vous signer un chèque et vous souhaiter bon vent. Cette affaire va braquer tous les projecteurs sur Doraville... Vous savez sans doute ce que c'est. Non seulement nous allons passer pour des demeurés parce que nous avons laissé un maniaque tuer huit adolescents avant de nous en apercevoir mais tout le monde va nous prendre pour des personnes crédules.
— Nous partirions volontiers tout de suite si nous le pouvions, intervint Tolliver, et j'opinai. Nous ne tenons pas du tout à assister au cirque médiatique.
Dans mon métier, un peu de publicité, c'est bien ; trop, c'est néfaste.
Le shérif Rockwell se cala dans son siège en nous dévisageant d'un air étrange.
— Qu'y a-t-il ? glapit Tolliver.
— Je n'en reviens pas que vous soyez aussi indifférents à cette chance de vous faire connaître. Vous remontez dans mon estime. Êtes-vous vraiment prêts à vous en aller ? Je pourrais peut-être demander aux collègues du SBI de vous rejoindre à votre prochaine étape.
— Nous quitterons Doraville ce soir, décidai-je. J'avais l'impression d'être soulagée d'un poids énorme. J'étais persuadée que le shérif nous obligerait à rester. Je déteste les affaires criminelles. Les missions dans les cimetières me conviennent mieux. On arrive dans la ville en question, on se rend au cimetière, on rencontre lés survivants, je me positionne sur la tombe et je leur dis ce que je vois. On empoche le chèque et on file. Le shérif Rockwell nous permettait au moins de prendre le large.
— Attendons demain matin, proposa Tolliver. Tu es encore faible.
— Je peux me reposer dans la voiture.
Je me sentais l'âme du lièvre poursuivi par un lévrier.
— D'accord, concéda-t-il.
Il me contempla d'un air dubitatif. Mais il commençait à comprendre mon besoin presque frénétique de fuir Doraville.
— Parfait, déclara Rockwell, encore vaguement surprise par notre réaction. Je suis certaine que Twyla insistera pour vous payer et voudra vous revoir.
— Nous lui rendrons visite avant de partir. Comment les recherches sur le site progressent-elles ? voulut savoir Tolliver.
Rockwell s'était levée et approchée de la porte. Elle nous avait déjà chassés de son esprit. Elle se retourna à contrecœur.
— Nous avons suffisamment creusé tous les endroits marqués pour confirmer la présence de restes humains. Demain matin, quand la lumière sera meilleure, les gars de la police scientifique viendront superviser les opérations. Mes adjoints feront l'essentiel du travail préliminaire. Klavin et Stuart ont promis de me tenir au courant.
Elle semblait douter de leur sincérité.
— C'est une bonne chose, non ? m'exclamai-je, le cœur allégé. La venue des légistes ? Ils sauront exhumer les corps sans souiller les éventuels indices.
— Oui. Cela nous coûte d'avouer que nous avons besoin d'aide mais c'est le cas.
Sandra examina ses mains comme si elle voulait s'assurer que c'étaient bien les siennes.
— J'ai personnellement reçu des appels de CNN et de deux autres chaînes de la télévision nationale. Vous avez donc tout intérêt à déguerpir avant l'aube. Prévenez-moi dès que vous aurez vos nouvelles coordonnées. Ne vous avisez pas de sortir de l'État. N'oubliez pas que les agents du SBI veulent vous parler.
— Entendu, répondit Tolliver.
Elle s'éclipsa et je me ruai sur ma valise. En moins de dix minutes, nous serions prêts.
Tolliver entreprit de ranger son rasoir et sa mousse dans sa trousse de toilette.
— Pourquoi tant de hâte ? Tu as besoin de dormir.
— Ce que j'ai vu m'a traumatisée.
Je pliai soigneusement un sweat-shirt.
— Pour rien au monde je ne voudrais être entraînée dans cette enquête. Je vais chercher l'atlas afin qu'on détermine notre prochain point de chute.
Encore un peu chancelante, je m'emparai des clés posées sur le poste de télévision. Pendant que Tolliver vérifiait le contenu de notre glacière, je sortis dans le froid. Je fermai la porte derrière moi. La soirée était glaciale et silencieuse. Les rues de Doraville étaient très éclairées et j'avais un lampadaire juste au-dessus de la tête. Enfilant mon blouson, je scrutai le ciel. J'aperçus quelques étoiles entre les nuages. J'aime regarder les étoiles, surtout quand mon boulot me déprime. Mes problèmes sont insignifiants comparés à leur brillance.
Il allait bientôt neiger.
Laissant de côté ma fascination pour les astres loin tains, je me concentrai sur mes préoccupations immédiates. Je déverrouillai la portière à distance et descendis sur l'étroit trottoir qui courait devant notre entrée. Un mouvement dans ma vision périphérique attira mon attention et je tournai légèrement la tête.
Le coup m'atteignit juste sous le coude. La douleur fut fulgurante. Je poussai un cri et appuyai sur le bouton d'alerte de la télécommande. Le klaxon se mit à hurler alors que le trousseau m'échappait des doigts. Je tentai de lever les bras pour me protéger. Celui de gauche refusa d'obéir. Je ne pus qu'apercevoir un homme affublé d'une cagoule noire avant de recevoir un deuxième coup en pleine tête. J'avais eu beau me jeter sur le côté pour éviter de recevoir l'impact de plein fouet, j'eus l'impression qu'elle allait s'envoler quand la pelle m'écorcha le crâne. Je titubai. La dernière chose dont je me souvienne, c'est d'avoir levé les mains pour parer ma chute : une seule répondit à mon ordre.
— Elle va se remettre, n'est-ce pas ?
La voix de Tolliver était plus forte, plus angoissée que de coutume.
— Harper ? Harper, parle-moi !
— Elle va reprendre conscience d'ici un instant, lui Répondit un homme. Un homme âgé, calme.
— On pèle de froid, ici ! vociféra Tolliver. Mettez-la Pans l'ambulance.
Merde ! On n'a pas les moyens de s'offrir une ambulance. En tout cas, ce n'est pas à ça qu'on devrait dépenser notre argent.
— Non, marmottai-je, mais le son que j'émis était incohérent.
— Si !
Dieu bénisse Tolliver. Il m'avait comprise. Et si j'étais seule en ce bas monde ? S'il décidait de... Seigneur ! Ma tête ! Était-ce du sang, sur ma main ?
— Qui m'a frappée ?
— Quelqu'un t'a frappée ? Je croyais que tu étais tombée dans les pommes ! Quelqu'un l'a frappée ! Alertez la police !
— D'accord, camarade, les flics nous retrouveront à l'hôpital, riposta l'inconnu.
Mon bras me faisait un mal de chien. Tout mon corps était endolori. Quel cauchemar !
— Prêt ? interrogea une autre voix. Une femme, cette fois.
— Un, deux, trois !
Ils me posèrent sur une civière et je retins un hurlement de douleur.
— Elle souffre, constata l'Autre Voix. A-t-elle d'autres blessures qu'à la tête ?
— Bras, brédouillai-je.
— Il vaudrait peut-être mieux ne pas la bouger, intervint Tolliver.
— Trop tard, fit remarquer Voix Calme.
— Ça va ? s'enquit une troisième voix.
Question franchement stupide, d'après moi.
Ils me roulèrent jusqu'à l'ambulance. J'entrouvris les yeux, le temps d'apercevoir les gyrophares rouges. De nouveau, je m'inquiétai du prix de cette folie mais une fois les portes refermées, je décidai de ne pas m'en faire pour l'instant.
Je me réveillai à l'hôpital. Un homme aux cheveux gris coupés court et aux lunettes cerclées était penché sur moi. Son expression était à la fois grave et compatissante. Pourvu qu'il soit médecin. Il en avait l'allure.
— Me comprenez-vous ? Pouvez-vous compter mes doigts ?
Deux questions d'affilée. J'essayai d'opiner pour montrer que je le comprenais. Aïe ! Je n'aurais pas dû. Quels doigts ?
Lorsque je rouvris les yeux, j'étais dans une pièce chaude et sombre et j'avais l'impression d'être emmaillotée comme un bébé. Apparemment, j'étais dans un lit enveloppée de draps en coton blanc. La lampe au-dessus de moi diffusait une lumière tamisée. À en juger par le silence, nous étions au beau milieu de la nuit. À côté, sur le fauteuil en skaï orange, les jambes étirées devant lui, Tolliver dormait, lui aussi enroulé dans une couverture. Il y avait du sang sur sa chemise. Le mien ?
J'avais terriblement soif.
Une infirmière entra, prit mon pouls, vérifia ma température. Elle me sourit en se rendant compte que j'étais réveillée mais ne m'adressa la parole qu'une fois ses tâches accomplies.
—Avez-vous besoin de quelque chose ?
— De l'eau ? murmurai-je, pleine d'espoir.
Elle porta une paille à mes lèvres et j'aspirai. Je n'avais pas réalisé combien j'avais la gorge sèche. J'étais sous perfusion. J'avais envie de faire pipi.
— J'ai besoin d'aller aux toilettes, chuchotai-je.
— D'accord. Vous pouvez vous lever si je vous aide. Allons-y doucement.
Elle baissa la barrière et je voulus m'asseoir en me tournant. Mauvaise idée. Je m'immobilisai, étourdie. Elle mit un bras autour de ma taille et me soutint tandis que je me laissais glisser délicatement jusqu'au linoléum froid. Nous avançâmes à petits pas jusqu'à la salle de bains en poussant le pied à sérum. J'eus du mal à m'asseoir sur la cuvette mais mes efforts furent récompensés par le soulagement que j'éprouvai ensuite.
L'infirmière se tenait juste derrière la porte entrouverte et je l'entendis bavarder avec Tolliver. J'étais désolée de l'avoir dérangé mais en regagnant mon lit, je fus heureuse de voir son visage.
Je remerciai l'infirmière.
— N'hésitez pas à appuyer sur la sonnette.
Après son départ, Tolliver se leva et vint me serrer contre lui avec autant de soin que si l'on m'avait estampillé la mention « fragile » sur le front. Il m'embrassa sur la joue.
— J'ai cru que tu t'étais évanouie Je ne savais pas qu'on t'avait frappée. Je n'ai rien entendu. J'ai pensé que tu avais eu une sorte de flash-back de la scène du crime. Ou que ta jambe t'avait lâchée, ou je ne sais quoi d'autre.
La mésaventure de mon enfance me poursuit. L'année précédente, j'étais subitement devenue la proie d'acouphènes ; la logique voulait que j'applique ce malaise à la foudre qui m'avait frappée à l'âge de quinze ans. Rien d'étonnant, donc, à ce que Tolliver mette mon malaise sur le compte de cette catastrophe passée.
— Tu l’as vu ?
Sa voix était empreinte de culpabilité, ce qui était absurde.
— Oui. Mais pas distinctement. Il portait des vêtements sombres et une cagoule en laine. Il a surgi de l'ombre. Il m'a d'abord cogné le coude. Puis, avant que je puisse me dégager, il m'a tapé sur la tête. J'avais eu de la chance. Il avait mal visé.
— Tu as une fissure du cubitus. Tu sais, l'os long situé du côté interne de l'avant-bras. Et une légère commotion cérébrale. Pour te recoudre le scalp, ils ont dû raser un peu de tes cheveux. Ça se voit à peine, me rassura-t-il en notant mon affolement.
J'essayai de ne pas m'en faire pour quelques centimètres carrés d'une chevelure qui repousserait.
— Je n'ai pas subi une seule fracture depuis dix ans. Et encore, ce n'était qu'un orteil.
J'étais en train de préparer le dîner pour les enfants | et ma mère m'avait bousculée alors que je sortais un plat en verre du four (je précise au passage qu'il contenait un poulet rôti). J'étais suffisamment réveillée maintenant pour savoir que la douleur ressentie ce jour-là n’était rien comparée à celle que j'éprouverais si on ne m'avait pas assommée de drogues.
Je n'étais pas pressée que leur effet se dissipe.
Tolliver me tenait la main droite. Heureusement pour j moi, le bras blessé était le gauche. Il avait le regard dans le vide. Il réfléchissait. J'en étais bien incapable.
— Ce devait être le meurtrier.
Un frémissement me parcourut. La pensée que cette personne - le monstre qui avait torturé ces garçons -m'avait approchée d'aussi près, touchée, observée avec ces yeux qui avaient pris tant de plaisir devant les souffrances de ses victimes me révoltait.
— Est-ce qu'on pourra s'en aller demain ?
— Non. Tu ne peux pas voyager avant quelques jours. H faut te reposer.
— Je ne veux pas rester ici.
— Malheureusement, nous y sommes forcés, répliqua-t-il d'un ton gentil mais ferme. Le médecin dit que tu as eu de la veine de t'en sortir avec une simple commotion cérébrale. Au début, il a craint le pire.
— Pourquoi ce type ne m'a-t-il pas tuée ?
— Parce que tu avais appuyé sur le bouton d'alerte et que je me suis précipité dehors.
Il arpenta la chambre. Ses allées et venues me donnaient le tournis. Il était fou de rage et très inquiet.
— Non, avant que tu ne me poses la question, je n'ai vu personne sur le parking. Mais je ne cherchais pas. J'étais persuadé que tu étais tombée dans les pommes. Il devait être à un mètre à peine quand j'ai franchi le seuil. Et je bougeais vite.
Je faillis sourire. J'y serais parvenue si je n'avais pas eu aussi mal au crâne.
— Tu m'étonnes.
— Il faut que tu dormes, Harper.
Je décidai de fermer les yeux, juste une minute.
Quand je me réveillai, le soleil s'immisçait entre les rideaux et l'on s'affairait dans les couloirs. Voix, bruits de pas, roulements de chariots retentissaient. Infirmières et aides-soignantes se succédèrent à mon chevet. On m'apporta un plateau de petit déjeuner : du café et une part de Jell-0 vert. Je m'aperçus que j'étais affamée quand j'en goûtai une cuillerée. Incroyable ! pensai-je après avoir avalé la gelée sucrée. Ce n'était pas si mauvais !
— Tu devrais manger toi aussi et retourner à l'hôtel prendre une douche, dis-je à Tolliver, qui me contemplait d'un air atterré.
— Je ne bougerai pas d'ici tant que je n'aurai pas discuté avec le médecin. L'infirmière m'a promis qu'il passerait d'ici peu.
L'homme aux cheveux gris et aux lunettes cerclées de la veille s'appelait Thomason. Il ne s'était pas couché.
— Une soirée animée pour Doraville, avoua-t-il. Je suis de garde aux urgences trois nuits par semaine et jamais je n'ai eu à travailler aussi dur.
— Merci d'avoir pris soin de moi, murmurai-je, bien que ce fût son boulot.
— De rien. Au cas où vous ne vous en souviendriez pas, je vous ai expliqué, à vous et à votre frère, que vous aviez une fissure du cubitus. Il est craquelé mais pas complètement fracturé. Cette attelle le protégera. Mettez-la vingt-quatre heures sur vingt-quatre si possible pendant quelques semaines. Quand vous quitterez l'hôpital, on vous indiquera où vous présenter pour un examen de vérification. Vous allez avoir mal pendant deux ou trois jours. Ajoutez à cela la commotion cérébrale, vous aurez besoin d'antalgiques puissants. Par la suite, le paracétamol devrait suffire.
— Est-ce que je peux me lever et marcher un peu ?
— Si vous vous en sentez la force et à condition d'être accompagnée, je vous autorise une ou deux promenades jusqu'au bout du couloir. Naturellement, si vous avez des vertiges ou des nausées, vous devrez vous recoucher.
— Elle parle déjà de quitter l'hôpital, dit Tolliver d'un ton qu'il espérait neutre.
Raté !
— Je vous le déconseille, répliqua le médecin.
Il porta son regard de l'un à l'autre. Je devais avoir l'air morose.
— Votre frère aussi doit se reposer. Il va devoir s'occuper de vous, jeune fille. Lâchez du lest. Votre place est ici, où nous pouvons vous surveiller. Vous avez au moins une assurance de base, il me semble ?
À quoi bon discuter ? Seule une personne mauvaise refuserait un temps de récupération à son frère. Or j'espère être quelqu'un de pas trop mauvais. Le Dr Thomason comptait là-dessus. Tolliver aussi. 1 J'envisageai un moment de me comporter de façon Si désagréable que l'hôpital serait enchanté de se débarrasser de moi. Mais cela ne servirait qu'à contrarier Tolliver. Je le dévisageai longuement, vis les cernes sous ses yeux, ses épaules voûtées. Il paraissait plus âgé que ses vingt-huit ans.
— Tolliver...
Il vint vers moi et me prit la main. Je pressai ses phalanges contre ma joue et le rayon de soleil se posa sur mon visage. Je l'aimais plus que tout mais il ne fallait pas qu'il le sache.
— Dans ce cas, décréta brusquement le Dr Thomason, je vous verrai demain matin. Vous pouvez manger normalement, je le signalerai à l'administration. Restez tranquille aujourd'hui.
Sur ce, il disparut et je lâchai les doigts de Tolliver.
— Je vais me doucher, déjeuner et faire une sieste. N'essaie pas de descendre de ton lit en mon absence. Promets-moi d'appeler l'infirmière.
— Je te le promets.
Pourquoi étaient-ils tous persuadés que j'enfreindrais les règles dès qu'ils auraient le dos tourné ? Certes, j'ai été foudroyée quand j'avais quinze ans mais je ne me considère pas comme une rebelle, une semeuse de zizanie, une fomenteuse de troubles ou autre agitatrice.
Après le départ de Tolliver, je me sentis désemparée. Je n'avais rien à lire. Tolliver m'avait promis de revenir avec mon bouquin. Je n'étais pas certaine de pouvoir me concentrer. J'aurais dû lui demander de m'apporter un livre audio ainsi que mon lecteur de CD et mon casque.
Je ruminai une dizaine de minutes puis scrutai soigneusement le panneau de contrôle auprès de mon lit.
Je réussis à allumer la télévision. Je tombai sur la chaîne interne de l'hôpital et suivis des yeux les gens qui entraient et sortaient du hall d'entrée. J'ai beau avoir un seuil relativement élevé de tolérance à l'ennui, je me lassai vite. Je zappai sur une chaîne d'information continue. Et je le regrettai aussitôt.
La modeste maison délabrée dans son environnement pittoresque ne ressemblait en rien à celle que j'avais vue la veille. Je me rappelai combien le site m'avait paru isolé. Après tout, un cinglé avait réussi à y enterrer huit adolescents sans que personne le sache. Désormais, on ne pouvait plus éternuer sur le site sans que quatre journalistes se précipitent avec leurs micros.
Le reportage devait être récent car le soleil semblait à peu près dans la même position que celui que je voyais par ma fenêtre. À propos, j'étais contente qu'il soit apparu, celui-là. Dommage que je ne puisse pas en profiter dehors, quoique... vu la façon dont ils étaient tous emmitouflés, la température n'avait pas dû remonter.
J'ignorai le commentaire pour scruter les personnages derrière le présentateur. Certains étaient en uniforme, d'autres en combinaison. Ceux-là devaient être les experts du SBI. J'aperçus deux hommes en costume : Klavin et Stuart, sans aucun doute. Je me félicitai d'avoir retenu leurs noms.
Combien de temps s'écoulerait-il avant qu'on ne vienne me voir ? Pourvu qu'aucun journaliste ne se mette en tête de m'interviewer. Si le médecin me libérait demain, nous quitterions la ville, histoire de mettre un peu de distance entre nous et les crimes.
Je réfléchissais à tout cela depuis plusieurs minutes quand l'inévitable frappa à ma porte.
Deux costards-cravates. Exactement le contraire de ce dont j'avais envie.
— Je suis Pell Klavin et voici Max Stuart, déclara le plus petit des deux.
Âgé d'environ quarante-cinq ans, il était mince et bien habillé. Ses cheveux commençaient à grisonner et ses chaussures étaient cirées à la perfection. Il portait des lunettes.
— Nous sommes du SBI, précisa l'agent Stuart. Plus jeune et plus blond, il était aussi élégant que son collègue.
J'opinai et m'en voulus immédiatement. Penaude, j'effleurai le bandage autour de ma tête. J'avais mal au bras gauche.
— Mademoiselle Connelly, nous avons appris que vous aviez été agressée hier soir, dit Stuart.
— Oui.
J'étais furieuse contre moi d'avoir expédié Tolliver au motel et je lui en voulais de m'avoir prise au mot.
— Nous en sommes affligés, assura Klavin d'un ton mielleux qui me donna envie de vomir. Pouvez-vous nous dire pourquoi on vous a agressée ?
— Non. C'est probablement en rapport avec les tombes.
— Je suis content que vous évoquiez ce sujet, intervint Stuart. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez fait pour les trouver ? De quelles informations dis-posiez-vous au préalable ?
— Aucune.
Apparemment, l'agression ne les intéressait déjà plus. En toute franchise, je pouvais les comprendre. J'avais survécu. Huit jeunes garçons n'avaient pas eu cette chance.
— Comment saviez-vous qu'ils étaient à cet endroit ? s'enquit Klavin, les sourcils arqués. Connaissiez-vous l'un d'entre eux ?
— Non. Je n'étais jamais venue ici auparavant.
Je retins un soupir. Je savais exactement comment cette conversation allait se dérouler. C'était inutile. Ils ne me croiraient pas, ils s'acharneraient à me soupçonner de leur mentir, perdraient du temps et gaspilleraient l'argent des contribuables en essayant d'établir un lien entre l'un des garçons et moi, ou entre l'assassin et moi. Ce lien n'existait pas.
Je m'agrippai à la couverture.
— Je ne connaissais aucun de ces jeunes. Je ne sais pas non plus qui les a tués. Je suis certaine que le shérif pourra vous remettre un dossier à mon sujet. Pouvons-nous estimer que nous n'avons plus rien à nous dire ?
— Je crains que non, riposta Klavin.
Je laissai échapper un grognement.
— Allons, messieurs, lâchez-moi les baskets ! Je suis dans un état pitoyable, j'ai besoin de dormir et je n'ai rien à voir avec votre enquête. Je les ai trouvés, point final. À partir de là, la balle est dans votre camp.
— Vous êtes en train de nous affirmer que vous retrouvez des cadavres par hasard, dit Stuart, sceptique.
— Par hasard, certainement pas ! Ce serait absurde.
Je n'aurais pas dû réagir. Ils voulaient me faire parler dans l'espoir que je finirais par leur révéler mon grand secret. Ils n'accepteraient jamais le fait que je disais la vérité.
— Absurde ? répéta Stuart. Vous vous fichez de...
— Vous êtes... ? s'enquit un jeune homme sur le seuil.
Je crus rêver.
— Manfred ?
J'étais complètement déstabilisée. Un rayon de soleil fit scintiller son piercing au sourcil (droit), à la narine (gauche) et aux oreilles (les deux). Manfred Bernardo avait rasé sa barbichette mais conservé ses cheveux courts, hérissés et blond platine.
— Oui, ma chérie, je suis venu aussi vite que possible.
Il avança à mon chevet avec la grâce d'un gymnaste et saisit ma main libre, celle qui n'était pas reliée à la perfusion. Il la porta à ses lèvres et l'effleura d'un baiser. Le clou dans sa langue m’écorcha les doigts.
— Comment te sens-tu ? me demanda-t-il en me regardant droit dans les yeux.
Je compris le message.
— Pas très bien, avouai-je. Tolliver a dû te parler de la commotion cérébrale ? De la fracture du bras ?
— Et ces messieurs t'asticotent alors que tu souffres le martyre ?
— Ils refusent de me croire, geignis-je.
Manfred pivota vers eux et haussa le sourcil au piercing.
Stuart et Klavin contemplaient mon visiteur avec un mélange de stupéfaction et de dégoût. Klavin remonta ses lunettes sur son nez et Stuart arbora une moue comme s'il venait de mordre dans un citron.
— Vous êtes... ? susurra Stuart.
— Manfred Bernardo, le meilleur ami de Harper.
Je dus faire un effort pour rester impassible et résistai à la tentation d'arracher ma main à celle de Manfred.
— D'où êtes-vous, monsieur Bernardo ? questionna Klavin.
— Du Tennessee. Je suis venu aussi vite que possible.
Manfred se pencha pour m'embrasser sur la joue, puis se redressa avant d'enchaîner :
— Harper n'est pas en état de vous répondre, messieurs, asséna-t-il en les observant tour à tour, impavide.
— Il me semble que si, riposta Stuart.
Mais lui et Klavin échangèrent un coup d'œil.
— Je ne suis pas de votre avis, insista Manfred.
Il avait au moins vingt ans de moins que Klavin, il était plus petit que Stuart - Manfred est très mince et mesure environ un mètre soixante-dix-huit - mais malgré ses tatouages et ses bijoux, il respirait l'autorité et la force.
Je fermai les yeux. J'étais épuisée et j'avais très envie] de rire aux éclats.
— Nous vous laissons, concéda Klavin, manifestement agacé. Mais nous reviendrons voir Mlle Connelly.
— A bientôt ! lança poliment Manfred.
Bruits de pas traînants... porte qui s'ouvrait, qui se refermait... Je rouvris les yeux. Le visage de Manfred était à quinze centimètres du mien. Il s'apprêtait à m'embrasser. Ses yeux bleus brillaient de désir.
— Non, non, non, mon vieux. Pas si vite.
Il s'écarta.
— Que me vaut cet honneur ? Ta grand-mère va bien ?
Xylda Bernardo était une pseudo-voyante excentrique dotée d'un certain talent. Je l'avais vue pour la dernière fois à Memphis ; à l'époque, elle était si frêle mentalement et physiquement que Manfred l'avait amenée en personne nous rencontrer.
— Elle est au motel. Elle a tenu absolument à m'accompagner. Nous sommes arrivés hier soir. J'ai l'impression que nous avons eu la dernière chambre de libre à Doraville, voire dans un rayon de cent kilomètres. Un journaliste avait renoncé à sa réservation parce qu'il avait trouvé mieux ailleurs et grand-mère m'a poussé à sauter sur l'occasion. Elle sait encore se rendre utile de temps en temps.
Il s'assombrit.
— Elle décline de jour en jour.
— Je suis désolée.
Je faillis lui demander de quoi elle souffrait mais c'eût été stupide. Quelle importance ? Je connais la mort par cœur et je l'avais vue inscrite sur le visage de Xylda.
— Elle refuse d'aller à l'hôpital. Elle ne veut pas gaspiller son argent d'autant qu'elle déteste l'ambiance.
J'acquiesçai. Je comprenais. Je n'étais pas folle de joie de m'y trouver alors que j'étais certaine d'en sortir debout.
— Elle se repose, reprit Manfred. J'ai donc décidé de passer prendre de tes nouvelles et j'ai découvert le Duo Dynamique. J'ai pensé qu'ils m'écouteraient si je déclarais être ton petit ami. Histoire d'en imposer un peu.
Je ne m'attardai pas sur ce sujet.
— Que faisiez-vous dans la région ?
— Grand-mère a dit que tu avais besoin de nous.
Il eut un mouvement des épaules mais il avait foi en elle.
— Elle ne serait pas mieux à la maison ?
J'éprouvai un sentiment de culpabilité à l'idée que Xylda avait parcouru tout ce chemin jusqu'à cette petite ville perdue dans les montagnes sous prétexte que j'avais besoin d'elle.
— Si, mais elle aurait tourné en rond en pensant à sa propre mort. Elle a voulu venir - nous sommes venus.
— Vous saviez où nous étions ?
— J'aimerais pouvoir te dire que grand-mère a eu une vision mais en fait, on vous a traqués grâce à un site Web.
— Quoi?
J’étais sidérée.
— Vous avez un site Web consacré à toi et à tes activités. Les gens écrivent quand ils t'ont reconnue quelque part.
Ça me fait une belle jambe.
— Pourquoi ?
— Tu es de celles qui attisent la curiosité, rétorqua Manfred. Les internautes veulent savoir où tu es et ce que tu as trouvé.
— Bizarre.
J'étais franchement perplexe.
— Ce que nous faisons l'est aussi.
— Donc, on a annoncé sur l’Internet que je suis à Doraville, Caroline du Nord ?
Tolliver était-il au courant ? Pourquoi ne m'en avait-il jamais touché un mot ?
— Il y a même deux ou trois photos de toi, prises ici même, probablement avec un téléphone portable.
— Je n'en reviens pas ! soufflai-je.
Je secouai la tête. Aïe !
— Tu veux en discuter ? De ce qui s'est passé ici ?
— Si c'est à toi que je m'adresse et non à un site Web... Excuse-moi, m'empressai-je d'ajouter. Qu'on me poursuive partout sans que je le sache me contrarie.
— Raconte-moi comment tu t'es blessée, m’encouragea-t-il en prenant place dans le fauteuil où Tolliver s'était endormi.
Je lui relatai mon expédition, mes conversations avec Twyla Cotton et le shérif, les dépouilles des huit garçons dans la terre glacée.
— Un autochtone enlève des adolescents depuis des années et personne ne s'en est jamais rendu compte ?
— Difficile à croire, je sais. Mais l'explication du shérif nous a paru presque plausible : tous ces jeunes étaient en âge de fuguer.
Il y eut un silence. Je faillis demander le sien à Manfred.
— Vingt et un.
Je sursautai.
— J'ai un petit don, affirma-t-il, faussement modeste.
— Xylda a un côté charlatan, déclarai-je, trop fatiguée pour faire preuve de tact. Mais dans le fond, c'est une femme bien.
Il s'esclaffa.
— Oui. C'est même une femme remarquable.
— Je suis incapable de te cerner, marmonnai-je.
— Je m'exprime plutôt pas mal pour un marginal tatoué, non ?
Je souris.
— Tu t'exprimes plutôt pas mal, point. Et j'ai trois ans de plus que toi.
— Tu as vécu trois ans de plus mais je te garantis que mon âme est plus vieille que la tienne.
Pour l'heure, je n'étais pas en mesure d'apprécier la distinction.
— Je crois que je vais m'assoupir.
Je ne m'attendais pas à ce que le sommeil me gagne avant même d'avoir pu remercier Manfred de sa visite.
Le corps a besoin de repos pour se remettre, le mien plus que d'autres. Je ne sais plis si cela a un rapport ou non avec le fait que la foudre ait traversé mon système. Nombre de victimes de foudroiement sont insomniaques mais je n'ai jamais eu ce problème. D'autres survivants avec qui j'ai échangé sur le Net subissent toute une variété de symptômes : convulsion, perte de l'ouïe, difficultés d'élocution, vision brouillée, accès de rage incontrôlables, faiblesse des membres, trouble déficitaire de l'attention. Évidemment, l'un ou plusieurs de ces facteurs peuvent engendrer des complications supplémentaires, toutes négatives. Chômage, divorce, fortunes dilapidées dans la quête d'une guérison ou au moins d'un palliatif.
Je serais peut-être moi-même dans un atelier pour handicapés si je n'avais pas bénéficié de deux atouts. Le premier, c'est mon don ; le deuxième, c'est Tolliver qui m'a ranimée sur place. Tolliver, qui croit en moi et m'a aidée à développer un moyen de gagner ma vie grâce à ce cadeau encombrant.
Je n'avais pas dû dormir plus de trente minutes pourtant, lorsque je me réveillai, Manfred était parti, Tolliver était de retour et le soleil s'était caché derrière les nuages. Il était presque onze heures d'après la pendule accrochée au mur et j'entendais le chariot des repas dans le couloir.
— Tu te rappelles la fois où nous sommes allés chercher un sapin de Noël, Tolliver ?
— Oui, l'année où nous avons tous emménagé ensemble. Ta mère était enceinte.
Nous étions serrés comme des sardines : ma sœur aînée, Cameron et moi dans une chambre, Tolliver et son frère Mark dans une autre, le père de Tolliver et ma mère dans la troisième. Sans compter le défilé incessant de paumés. Mais nous, les enfants, avions décidé que nous voulions un sapin et nos parents s'en fichaient. Nous nous sommes donc aventurés dans le bois pour en couper un. Nous avons récupéré un support abandonné dans une benne à ordures et Mark l'a réparé.
— C'était amusant.
Mark, Tolliver, Cameron et moi nous sommes rapprochés au cours de cette expédition. Au lieu de n'être que des enfants vivant sous le même toit, nous avons formé un front uni contre nos parents. Nous sommes devenus notre propre groupe de soutien. Nous nous sommes couverts les uns les autres, nous avons menti pour préserver notre famille, surtout après les naissances de Mariella et de Gracie.
— Elles n'auraient pas survécu si nous n'avions pas été là, murmurai-je.
Tolliver me dévisagea un instant sans comprendre, puis rattrapa le fil de mes pensées.
— Non. Nos parents étaient incapables de s'en occuper. Mais ce fut mon plus beau Noël. Ils sont même allés nous acheter des cadeaux, tu t'en souviens ? Mark et moi aurions préféré mourir plutôt que d'avouer combien nous étions heureux de vous avoir Cameron, toi et ta mère. Elle n'était pas si mal, à l'époque. Elle s'efforçait de surveiller sa santé pour le bébé, Je me rappelle aussi que des bénévoles de la paroisse nous ont apporté une dinde.
— Elle n'était pas mauvaise.
Cameron avait déniché un recueil de recettes et prétendu que nous étions aussi capables que n'importe qui de lire des instructions. Après tout, nos parents avaient exercé la profession d'avocat avant de sombrer dans les vices de ceux qu'ils défendaient. Nous n'étions pas bêtes. Par chance, l'ouvrage était destiné aux débutants et nous avions réussi à rôtir l'oiseau à la perfection. Certes, la farce était toute faite, la sauce aux airelles sortait d'une boîte de conserve, nous avions acheté une tarte à la citrouille surgelée et un bocal de haricots verts.
— Elle était même bonne.
Il avait raison. Nous nous étions régalés.
Ce jour-là, Cameron nous a portés à bout de bras. Ma sœur aînée était jolie et intelligente. Nous ne nous ressemblions pas du tout. De temps en temps, je me demandais si nous étions vraiment sœurs, vu la manière dont ma mère avait tourné. On ne perd pas tout sens moral du jour au lendemain, n'est-ce pas ? Ça se passe sur la durée. Je me surprends parfois à penser que celui de ma mère a commencé à s'éroder quelques années avant qu'elle et mon père ne se séparent. Je me trompe peut-être. Je l'espère. Quand Cameron a disparu, j'ai eu l'impression que mon existence venait d'être coupée en deux. Il y a l'avant-Cameron, où les choses allaient mal mais demeuraient tolérables et l'après-Cameron, où tout s'est écroulé : j'ai atterri dans une famille d'accueil, mon beau-père et ma mère en prison, Tolliver est allé s'installer chez Mark. Mariella et Gracie se sont retrouvées chez tante Iona et son mari.
Le sac à dos de Cameron, laissé au bord de la route le jour où elle s'est volatilisée en rentrant du lycée, est toujours dans notre coffre. La police nous l'a rendu au bout de quelques années. Nous l'emportons partout avec nous!
Je bus une gorgée d'eau de mon gobelet en plastique vert. À quoi bon songer à ma sœur ? Je me suis résignée depuis longtemps : elle est morte. Mais un jour, je la retrouverai.
Aujourd'hui encore, il m'arrive d'apercevoir une jeune fille de petite taille aux longs cheveux blonds, à la démarche gracile, au nez droit. Je dois me retenir de l'interpeller. Si Cameron est encore vivante, elle a forcément beaucoup changé. Elle n'est plus parmi nous depuis... voyons, le printemps de son année de terminale, quand elle avait dix-huit ans. Seigneur ! Elle aurait bientôt vingt-six ans. Huit ans, déjà.
— J'ai appelé Mark, annonça Tolliver.
— Tant mieux. Comment va-t-il ?
Tolliver ne téléphone pas assez souvent à son frère. Je ne sais pas si c'est un truc de garçon ou s'ils se sont disputés.
— Il te souhaite une prompte guérison.
Tolliver éludait ma question.
— Il est toujours satisfait de son travail ?
Mark a été promu à plusieurs reprises. Il a été plongeur, serveur, cuisinier et désormais, il est le gérant d'un restaurant de chaîne de type familial à Dallas. Depuis au moins cinq ans. Pour quelqu'un qui a loupé ses études universitaires, il se débrouille bien.
— Il va avoir trente ans, fit remarquer Tolliver. Il devrait fonder un foyer.
Je me gardai de réagir. Tolliver n'a que deux ans et quelques mois de moins.
— Il a une petite amie ?
Je devinais d'avance la réponse.
— S'il en a une, il n'a rien dit... À propos, reprit-il après une courte pause, j'ai croisé Manfred au motel.
— Oui, il est passé. Apparemment, Xylda a eu une vision et a décidé que sa place était auprès de moi. Il m'a confié qu'elle est mourante. Je suppose qu'il cède à toutes ses volontés. Le petit-fils idéal.
Tolliver me dévisagea d'un air sceptique.
— Mais oui, bien sûr. Comme par hasard, Xylda a reçu un message des cieux lui indiquant qu'une femme dont Manfred est amoureux - il en pince pour toi, ne fais pas semblant de l'ignorer - a besoin de son aide. Tu ne crois pas qu'il y est pour quelque chose ?
J'étais vaguement choquée.
— Non. S'il est là, c'est parce que Xylda y tenait.
Tolliver ricana. L'espace d'une seconde, j'eus un élan de haine envers lui. Il se leva brutalement et tourna en rond dans la chambre.
— Je parie qu'il est pressé que sa grand-mère meure. Il n'aura plus à la trimballer ici et là et pourra te proposer ses services en tant qu'agent.
— Tolliver !
Il se tut. Enfin.
— C'est méchant, protestai-je.
— Tu es aveugle, Harper.
— Tu vois des choses qui n'existent pas. Je ne suis pas idiote. Je sais que Manfred m'apprécie. Je sais aussi qu'il aime profondément sa grand-mère et qu'il ne l'aurait pas emmenée jusqu'ici par ce temps, surtout dans l'état où elle est, si elle ne l'avait pas supplié.
Tolliver baissa le nez, renfrogné. J'eus la sensation que j'étais sur le point de prononcer des paroles que je regretterais. Quant à Tolliver, il semblait anéanti. Je sais lire les secrets des morts mais à cet instant, j'étais incapable de déchiffrer ceux de mon frère. Je n'étais pas certaine d'en avoir envie.
— Ce dernier Noël entre nous, juste toi et moi... c'était bien.
C'est alors que l'infirmière nous interrompit pour prendre ma température et ma tension. Tolliver défroissai ma couverture et je m'enfonçai dans mes oreillers.
— Il pleut de nouveau, constata infirmière en jetant un coup d'œil sur le ciel plombé. Ça ne s'arrêtera donc jamais ?
Nous n'avions pas d'opinion sur la question.
Le shérif passa dans l'après-midi. Elle portait des vêtements chauds et ses bottes étaient maculées de boue. Je me dis que je n'étais peut-être pas si mal dans cet hôpital quand d'autres étaient en train de creuser une terre gelée en quête d'indices en respirant les odeurs pestilentielles; de cadavres à divers stades de décomposition ou d'annoncer la terrible nouvelle aux familles.
Sandra Rockwell devait penser la même chose que moi. Elle commença par me sermonner.
— Je vous serais reconnaissante de ne pas recevoir vos amis en mal de publicité, attaqua-t-elle.
— Je suis désolée.
— Votre amie médium, je ne me rappelle plus son nom...
— Xylda Bernardo, dit Tolliver.
— Elle a fait une scène au poste de police.
— Quel genre de scène ? m'enquis-je.
— Elle racontait à qui voulait l'écouter qu'elle avait prédit votre découverte, que c'était elle qui vous avait envoyée ici, qu’elle savait que vous seriez blessée.
— Mensonges, riposta Tolliver.
— Je m'en doute. Cependant, elle embrouille tout. Vous débarquez, nous sommes tous dubitatifs, nous imaginons le pire. Seulement voilà, vous découvrez les garçons et nous savons que vous n'aviez aucune idée de l'endroit où ils étaient enterrés.
Je poussai un soupir discret
— Puis elle surgit de nulle part. Elle fait son numéro, le petit-fils se contente de sourire.
Il n'avait guère d'autre solution.
— De surcroît, on dirait qu'elle va claquer d'une minute à l'autre. Notez que c'est un supplément de revenus pour notre hôpital, ajouta-t-elle d'un ton plus enjoué.
On frappa à la porte et un homme apparut, le poing en l'air.
— Tiens ! Shérif ! s'exclama-t-il, étonné.
— Barney !
— Je vous dérange ?
— Non, non. Je m'en allais. Je retourne dans le froid et l'humidité, enchaîna-t-elle en enfilant ses gants.
Quel était le véritable but de sa visite ? Se plaindre de Xylda ? Je n'étais pas convaincue. Après tout, qu'y pouvions-nous ?
— Êtes-vous venu jeter Mlle Connelly dehors ?
— Très drôle. Non, il s'agit d'une visite de courtoisie. Je vais voir chacun des patients au bout de leur première journée parmi nous pour savoir si tout se passe convenablement, écouter leurs doléances - parfois même leurs compliments.
Il nous gratifia d'un large sourire.
— Barney Simpson, administrateur de l'hôpital, à votre service. Mademoiselle Connelly, je présume ?
Il me serra la main avec délicatesse parce que j'étais la malade.
— Et vous êtes... ?
— Son agent, Tolliver Lang.
Je m'efforçai de masquer ma surprise. Je n'avait jamais entendu Tolliver se présenter ainsi.
— Je ne vous demande pas si vous appréciez votre séjour à Doraville.
Il fit mine d'être attristé. Grand, replet, il avait des cheveux noirs désordonnés et un visage avenant.
— Toute la communauté est en deuil mais quel soulagement d'avoir enfin retrouvé ces garçons.
De nouveau, on frappa.
— Oh, pardon ! Je reviendrai plus tard.
— Non, non, mon père. Entrez. Je faisais juste un saut au cas où ces personnes auraient des questions concernant le fonctionnement de l'hôpital. La routine, conclut Barney Simpson.
— Je dois regagner le site, décréta le shérif Rockwell. " Inutile de préciser lequel. À Doraville, il n'y en avait qu'un.
— Eh bien...
Le nouveau venu était aussi hésitant que Simpson était assuré. Petit, pâle et maigre, il avait le teint lisse et un sourire angélique. Il serra les mains de Rockwell et de Simpson avant de nous accorder toute son attention.
— Je suis le pasteur Doak Garland.
Re-poignées de main. Un rituel fatigant, à la fin.
— Église baptiste du Mont Ida, route 114. Je suis le chapelain de l'hôpital cette semaine. Les prêtres locaux se relaient et vous avez la malchance de tomber sur moi.
— Je suis Tolliver Lang et j'accompagne cette jeune femme, Harper Connelly. Elle retrouve les cadavres.
Doak Garland fixa ses pieds comme pour dissimuler son malaise. Quelle mouche avait piqué Tolliver ?
— Oui, monsieur. J'ai entendu parler de vous. Je suis le pasteur de Twyla Cotton et elle m'a expressément demandé de vous rendre visite. Nous tiendrons une séance de prières demain soir. Si vous êtes sortie d'ici, nous serions heureux de vous y accueillir. L'invitation vient du fond du cœur. Nous sommes soulagés de savoir ce qui est arrivé à Jeff. Au bout d'un moment, que la nouvelle soit bonne ou mauvaise, c'est tout ce qui compte.
J'étais d'accord avec lui. J'opinai.
— Puisque c'est vous qui l'avez découvert, nous espérons que vous serez assez en forme pour assister à cette cérémonie. Je ne mentirai pas en prétendant que nous ne nous interrogeons pas à propos de votre don mais vous l'avez utilisé pour la gloire de Dieu et pour le réconfort de notre sœur Twyla, ainsi que Parker, Bethalynn et Carson. Nous voulons vous remercier.
Au nom de Dieu ? Je ravalai un fou rire.
— Merci, bredouillai-je en cherchant en vain une excuse pour refuser.
— Si le médecin libère Harper demain, nous serons là, assura Tolliver.
Aucun doute possible : il était possédé par un extraterrestre.
Doak Garland parut un peu ahuri mais joua le jeu :
— J'en suis enchanté. À demain soir, dix-neuf heures. Si vous avez besoin d'indications pour vous y rendre, téléphonez-moi.
Professionnel jusqu'au bout des ongles, il sortit une carte de visite de sa poche et la tendit à Tolliver.
— Merci.
— Merci, renchéris-je.
Enfin seuls ! J'étais fatiguée mais j'avais besoin de marcher. Je demandai à Tolliver de m'aider à descendre du lit et de me soutenir pendant que j'arpentais le couloir. Personne ne nous prêta attention, ce qui me réjouit. Visiteurs et patients avaient leurs propres soucis et angoisses. Une jeune femme de plus ou de moins attifée d'une horrible blouse verte ne suffirait pas à les distraire.
— Je ne sais pas quoi te dire, avouai-je en revenant vers ma chambre. Quelque chose ne va pas ? Tu te comportes d'une drôle de façon.
Je l'observai à la dérobée. Apparemment, il était pris de court.
— Je sais que le mieux serait de nous en aller.
— Alors pourquoi avoir accepté l'invitation du pasteur ?
— Parce que je crains que la police nous interdise de partir tout de suite et que je veux avoir du monde autour de nous. Quelqu'un a essayé de te tuer. Les flics sont tellement obsédés par leur enquête que ça ne les intéresse pas de courir après ton agresseur. Or je suis presque certain que c'est le type qui a assassiné les adolescents. Sinon, pourquoi tant de rage, pourquoi avoir pris un tel risque ? Tu as mis fin à son jeu, il s'est fâché et il veut t'éliminer. Il a failli réussir. Est-ce que tu te rends compte de la chance que tu as de t'en être sortie avec une commotion cérébrale et un bras cassé ?
De la part de Tolliver, c'était un long discours. Il le délivra à voix basse, par saccades pour éviter d'éveiller la curiosité des passants. Lorsque nous fûmes devant la porte de ma chambre, je lui signalai d'un geste que je voulais poursuivre jusqu'à l'autre bout du couloir opposé. Je ne dis rien. J'étais furieuse mais je ne savais pas sur qui passer ma colère. Tolliver avait parfaitement raison.
Nous nous immobilisâmes devant la baie vitrée. La pluie s'était transformée en un méchant mélange de neige et de grêle, ô joie ! Les pauvres bougres de la police scientifique ! Peut-être abandonneraient-ils la partie pour se réfugier dans leurs voitures.
Je marchais très lentement. Alors que nous nous rapprochions de nouveau de ma chambre, je n'avais toujours aucune inspiration.
— Je pense que... Mais...
J'aurais voulu lui dire : Tu évites le problème de ton hostilité envers Manfred et sa grand-mère. Pourquoi lui en veux-tu de s'intéresser à moi ? Pourquoi Manfred plus que n'importe qui d'autre qui a tenté de me séduire ? Je me tus. Tolliver ne me pria pas de terminer ma phrase.
J'étais ravie de retrouver mon lit et je m'y appuyai lourdement tandis que Tolliver remettait le pied à sérum en place. Il m'aida à m'asseoir, ôta mes pantoufles et me poussa doucement sur le dos. Nous tirâmes draps et couvertures.
Il avait apporté un livre pour lui et un autre pour moi, au cas où ma tête irait mieux. Nous nous plongeâmes dedans pendant une heure environ, bercés par le crépitement des grêlons contre la vitre. Tout l'hôpital semblait s'être assoupi. Je consultai la pendule. Bientôt, les employés quitteraient leur bureau pour rendre visite à leurs proches. La circulation s'intensifierait dans le corridor. Ensuite, ce serait la distribution des repas, puis celle des médicaments. Le calme reviendrait lorsqu'il ne resterait plus que les membres de l'équipe médicale, les patients et les quelques âmes dévouées qui acceptaient de dormir dans un fauteuil auprès de leur malade.
Tolliver me demanda si je souhaitais qu'il reste. J'allais mieux et sa proposition me toucha. J'étais tentée d'accepter. Car j'avais peur.
Ce n'était pas une raison pour le condamner à une deuxième nuit blanche d'affilée.
— Rentre au motel. Si j'ai un souci, je sonnerai l'infirmière.
Qui mettrait sans doute trente minutes avant de venir. Comme tant d'autres, ce petit hôpital manquait cruellement de personnel. Même les techniciens de surface se dépêchaient, tellement ils étaient débordés.
— Tu es certaine ? Vu le nombre de journalistes qui y sont descendus, je serais peut-être plus tranquille ici.
Il n'avait pas mentionné ce détail.
— En effet, murmurai-je. J'ai sans doute de la chance dans mon malheur.
— Absolument. En ce qui me concerne, je dois feindre de ne pas être là. Une femme a frappé à ma porte pendant vingt minutes ce matin.
Un sentiment de culpabilité me submergea.
— Je suis désolée. Je ne pensais plus à la presse.
— Tu n'y es pour rien. Cette affaire te rapporté une sacrée publicité, tu sais. C'est pourquoi...
Il se renferma sur lui-même. Il pensait à Manfred et à Xylda, convaincu que Xylda était en ville uniquement pour profiter de la situation. Non, je ne suis pas voyante. Je connais Tolliver par cœur, voilà tout.
— En d'autres circonstances, j'aurais soupçonné Xylda d'avoir une idée derrière la tête, dis-je. Mais elle est si frêle et Manfred était si réticent à l'amener...
— Qu'il dit, railla Tolliver.
— Oui, qu'il dit. Et tu semblés le croire capable de traîner sa grand-mère malade jusqu'à l'autre bout du pays dans le seul but de satisfaire son désir pour moi. Pas moi.
Je regardai Tolliver droit dans les yeux. Au bout d'une seconde, il rougit, gêné.
— D'accord, il aime vraiment cette vieille folle. Et à ma connaissance, il prend soin d'elle.
Il n'en rajouterait pas mais c'était déjà mieux que rien. Je ne tenais pas du tout à ce que Tolliver et Manfred se disputent.
— Ils sont à notre motel ?
— Oui. Toutes les chambres de la ville sont louées. La route qui mène vers la montagne est quasiment coupée au trafic pour permettre aux camionnettes de se garer. Une seule voie est libre, et ils ont posté des gars avec des walkies-talkies de part et d'autre du goulet.
Une fois de plus, je me sentis coupable, comme si j'étais responsable de ce chaos. La faute en revenait au meurtrier, bien sûr, mais il ne devait guère s'en inquiéter.
Je me demandai à quoi il pouvait bien penser. Il s'était défoulé sur moi.
— Il va faire profil bas maintenant.
Tolliver comprit à qui je faisais allusion.
— Il sera prudent, concéda-t-il. S'il s'en est pris à toi, c'est uniquement dans un sursaut de rage parce que son jeu avait pris fin. Il a dû se calmer depuis. Il se méfie des flics.
— Il n'a pas de temps pour moi.
— Non. Mais cet individu est un psychopathe, Harper. On ne peut jamais prévoir leurs agissements. J'espère qu'on te libérera demain. Si tu te sens suffisamment en forme et si les gars du SBI en finissent avec leurs questions, nous pourrons quitter Doraville.
— Ce serait bien.
Tolliver m'étreignit avant de partir. Il s'achèterait de quoi manger sur la route du motel et resterait dans sa chambre toute la soirée afin d'éviter les reporters.
— Remarque, il n'y a nulle part où aller. Dommage qu'on ne travaille pas plus souvent dans des grandes villes.
— Je me suis posé la question. Nous avons eu une mission à Memphis, une autre à Nashville. Avant cela, il y a eu St. Paul. Sans oublier ce cimetière à Miami.
— Mais l'essentiel de nos activités se déroule dans des trous perdus.
— Je ne me l'explique pas. N'avons-nous jamais travaillé à New York ?
— Bien sûr que si, tu ne te rappelles pas ? Mais pour toi, c'était trop éprouvant car c'était juste après le 11 Septembre.
— Mon inconscient me protège.
Ground Zéro... l'une des pires expériences de ma carrière.
— Plus jamais, tranchai-je.
— Oui. Exit New York...
Nous nous dévisageâmes longuement.
—Bon. Je file. Essaie de manger ton dîner et de dormir. Tu seras peut-être moins dérangée par les infirmières cette nuit, puisque tu vas mieux.
Il s'affaira encore une minute ou deux, s'assurant que la table roulante était correctement positionnée, la débarrassant pour mon plateau-repas, me montrant la télécommande encastrée dans la barrière du lit, poussant le téléphone jusqu'au bord de la table de chevet pour que je puisse décrocher plus facilement. Il rangea mon portable dans le tiroir.
— Appelle-moi quand tu veux.
Je m'assoupis jusqu'à ce que l'on m'apporte mon dîner. J'ai honte de l'admettre, mais j'ai presque tout mangé. Ce n'était pas infect. Et j'avais terriblement faim.
Un médecin inconnu apparut pour m'annoncer que je pourrais probablement rentrer chez moi dans la matinée. Il semblait fort peu soucieux de savoir qui j'étais et où j'habitais. Il était harassé comme ses confrères. À en juger par son accent, il n'était pas du coin. Je me demandai ce qui avait pu l'inciter à s'installer à Doraville. Je songeai qu'il appartenait au même stock d'urgentistes que le Dr Thomason.
Heather Sutcliff, une très jeune femme, assistante de Barney Simpson, arriva peu après.
— M. Simpson voulait que je prenne de vos nouvelles. De nombreux journalistes souhaitent vous interviewer mais pour la tranquillité des autres patients, nous leur avons refusé tout droit de visite. D'autre part, nous filtrons tous les appels dans votre chambre - une suggestion de votre frère.
— Merci. Je vous en suis très reconnaissante.
— Tant mieux. Ce serait désagréable pour les autres patients d'avoir toutes sortes d'inconnus dans les couloirs.
De toute évidence, le problème des reporters l'irritait. Elle s'éclipsa discrètement.
L'événement le plus intéressant de la soirée fut le passage du jeune homme chargé de ramasser les plateaux vides. J'essayai de regarder la télévision mais les rires en boîtes de conserve me fichaient la migraine. Je lus une petite demi-heure. Le bouquin finit par me tomber sur l'estomac et j'eus à peine l'énergie de tendre la main pour éteindre la lampe.
Je fus réveillée par un éclair de lumière et une sensation de sons et de mouvements autour de moi. Je poussai un cri et agitai mon bras valide pour repousser mon assaillant. Dans un sursaut de lucidité, j'appuyai sur les boutons de la lampe et de la sonnette. Je fus sidérée de découvrir deux hommes dans la pièce. Emmitouflés dans d'épais manteaux, ils me hurlaient des paroles incompréhensibles. J'appelai l'infirmière au secours, encore et encore. Au bout de trente secondes, la chambre fut littéralement envahie.
L'infirmière de nuit était une femme raide et de forte corpulence. Elle était très grande et méprisait le maquillage. En revanche, elle s'était récemment teint les cheveux en rouge. Son courage força mon adjuration. Elle se rua sur les deux journalistes. Si elle avait été armée, ils seraient morts. Un gars de la sécurité de l'hôpital était là (un homme plus âgé que mon médecin et nettement moins en forme), ainsi qu'un aide-soignant (élancé, musclé) et une autre infirmière qui ne se priva pas d'insulter les intrus.
L'épisode était ridicule et j'aurais dû pouvoir le surmonter. J'aurais même dû l'anticiper. Pour l'heure, j'en étais incapable. J'avais eu très peur et mon cœur battait la chamade. J'avais mal partout.
Après une vive explication, le vigile et l'aide-soignant emmenèrent les importuns qui dissimulaient avec peine leur sourire.
Quant à moi, j'étais dans un état pitoyable : terrifiée, percluse de douleurs et affreusement seule.